• Grâce aux bons soins de l'abbé Lagneau, j'étais parfaitement restauré et prêt à reprendre la route. Certes, mon corps, au réveil, a ressenti des courbatures très violentes à l'emplacement de chacun de mes muscles. Pour tout vous dire, je n'ai jamais aussi bien compris l’anatomie humaine que durant mon voyage ! Mais les douleurs et les souffrances existent pour être surmonter !

    De cette manière, avec le colis de nourriture dans le fond de mon sac, je suis reparti. Très vite, j'ai quitté Chartres pour m'arrêter en rase campagne et consulter ma carte. Grâce à ses indications et les aiguilles de ma boussole, j'ai tracé mon chemin vers Orléans. Mon esprit s'est soudain rebellé en constatant que je longerai beaucoup de départementales. Je brulais de m'écarter de la civilisation, de me retrouver seul en pleine nature, livré à mes propres moyens, ne devant compter que sur moi-même pour survivre. Quel défi incroyablement stimulant !

    Les dangers de l'excitation

    Tout excité, comme un enfant au matin de Noël, j'ai abandonné  sans la moindre inquiétude les routes goudronnées rassurantes pour m'égarer dans les terres désertes. J'étais libre ! J'étais l'oiseau qui volait haut le ciel et se posait là où il le voulait ! Quel bonheur !

    Pendant deux jours, je me suis aventuré dans les champs et les pâturages. Dissimulé par les hautes tiges du blé ou du colza, je m’imaginais être un aventurier perdu au milieu d'une quelconque jungle africaine, traqué par des éventuels bêtes sauvages qui m'observaient, tapies dans l'obscurité, guettant le bon moment pour me sauter dessus.

    Ah ! Je me sens soudainement idiot en racontant ces pensées qui m'amusaient un an plus tôt. J'étais encore un enfant immature, incapable d'appréhender entièrement les réalités qui l'entourent. J'étais un enfant, oui. Un jeune faon insouciant qui gambadait librement sans se soucier des risques. On appelle cela devenir adulte. Mais c'est très étrange. Cela s'est passé exactement douze mois mais ce garçon que je vois dans ma mémoire, j'ai la sensation nette que celui-ci est mort depuis bien plus longtemps. Le temps et l'esprit sont des concepts bien mystérieux qui échappent à notre logique.

    Les dangers de l'excitation

    Après toutes ces aventures en pleine nature à rire de tout et rien, à m'émerveiller des animaux ou à contempler le paysage, j'ai fait une pause dans un pré dans lequel paissaient des vaches. Une surprise m'y attendait. Le propriétaire est apparu et m'a accusé d'être un voleur qui rôderait autour de sa ferme et de ses bêtes. Ce n'était pas du tout une sensation plaisante ! Malgré mon appréhension, il m'a semblé le persuader de ma bonne foi. Il m'a alors appris que je me trouvais près de la commune de Sougy, soit à plus de trente kilomètres d'Orléans ! Moi qui croyait être tout proche de ma future étape... Quelle formidable désillusion !

    De cette leçon, j'en ait retiré les dangers de l'excitation et de trop vivre dans le présent au point de se laisser détourner de ses objectifs. A partir de là, je me suis résolue à demeurer non loin des routes afin d'y apercevoir de précieux panneaux indicateurs pour me renseigner si je me trouve bien sur le bon chemin.

    A ma surprise, le propriétaire a décidé de m'accompagner en voiture, expliquant qu'il avait une course à accomplir dans la ville de Chevilly. Il a ainsi proposé de me rapprocher d'Orléans. J'ai hésité. Cela contrariait mes plans de me débrouiller en parfaite autonomie. D'un autre côté, j'étais si loin de mon objectif et mes vivres avaient beaucoup diminué. Aurais-je su l'atteindre avant de me retrouver dépourvu de toute nourriture ? La décision ne fut pas aisée à prendre mais je me suis résolu à m'asseoir sur mon orgueil pour m'installer dans le véhicule. Je me sentais aussi souillé que Lancelot dans sa charrette. Et encore ! Lui pouvait se réconforter qu'il allait au secours de sa dulcinée ! Mais moi, rien ne pouvait sauver mon pauvre orgueil. Or, vous qui suivez ce blog, à son titre prétentieux et à mon pseudonyme glorieux, je devais avoir une petite idée à quel point celui-ci est puissant chez moi. Vous imaginez donc bien le conflit dans lequel mon âme se dépêtrait !

    Le trajet s'avéra affreusement long et ennuyeux. L'homme ne parla jamais. Il ne mit même pas l'autoradio qui aurait apporté une note plus agréable à l'ambiance lourde qui pesait dans l'habitacle. Finalement, devant le panneau de Chevilly, il m'a débarqué de manière très rude. Pour lui, je n'étais qu'un voleur qui le essayait de le baratiner. Or, comme alerter la police l'embarrassait puisque celle-ci ne m'arrêterait pas tant que je n'aurais pas commis un délit, il a préféré m'éloigner un maximum de sa ferme.

    Un an plus tard, ses accusations me font toujours autant souffrir que celles-ci me plongent dans la plus profonde des indignations. Moi, un voleur ? Non ! J'ai, certes, de nombreux défauts mais je suis honnête homme. Jamais, au grand jamais, je ne m'abaisserai à dérober le bien d'une personne. Mais je comprends un peu les sentiments de ce propriétaire. Il essayait simplement de protéger son domaine. C'est un sentiment humain. Par ailleurs, il l'a fait avec beaucoup d'intelligence et sans violence. Par conséquent, même si mon honneur a été fortement bafoué dans cette histoire, je ne lui en tiendrai pas rigueur.

    Désormais seul sur une départementale très fréquentée, j'ai traversé la petite agglomération de Chevilly et découvert des panneaux à la sortie. L'un d'eux indiquait la direction d'Orléans mais également que vingt-six kilomètres m'en séparaient encore.

    Je vous présente la carte de cette partie de la France : La Beauce !

    Les dangers de l'excitation

    Les plus cultivés d'entre vous reconnaitront des noms familiers s'ils ont lu la Terre, un des innombrables romans d’Émile Zola.

    Armé de mon courage, j'ai poursuivi mon chemin et la pluie m'a surpris. Il n'y avait rien pour m'abriter. Ni grange ni abribus ni une petite cabane. Rien. La Beauce est un immense désert où l'on peut éprouver toute l'étendue du sentiment de solitude sorti des villes ! Je n'ai toujours pas abandonné. J'ai sorti une veste et un chandail de mon sac pour très vite les enfiler puis je suis reparti.

    Les dangers de l'excitation

    Les éléments continuaient à se déchainer. C'était une véritable tempête. Le vent soufflait en rafales, le froid s'infiltrait au travers de mes vêtements, la pluie me battait le visage, les véhicules qui roulaient sur la chaussée m'envoyaient sans cesse de l'eau.... C'était digne des épreuves de Dante ! Mais je n'ai pas cédé. Je me raccrochais à l'espoir de de vaincre cette difficulté et d'arriver à Orléans. Je considérais la cité de Jeanne comme d'un port salutaire.

    Alors que la nuit était tombée, la pluie, elle, tombait toujours. Brusquement, la lumière m'est apparue. Orléans m'apparaissait ! De ses belles lueurs salutaires, elle fendait la noirceur des ténèbres qui m'environnaient et me montraient la direction. J'ai couru. Précipitamment. Je suis finalement entré la tête haute, fier de mon exploit.

    Cependant, en me souvenant des épreuves qu'Orléans m'a imposé, je pense que cette ville me hait. Pendant des heures, j'ai tourné partout pour chercher un abri qui me protégerait de la pluie qui continuait de tomber et me permettrait ainsi de me reposer en sécurité. En vain. Chaque bâtiment, chaque cour, était soigneusement verrouillé.

    Par miracle, j'ai découvert une église dont la porte avait oublié d'être fermé. Incroyable ! Moi, l'athée, j'ai pu trouver refuge dans la maison d'un Dieu dont mon cynisme ne cesse de l'attaquer ! Est-ce le simple hasard ? Ou celui-ci a t-il tenté de montrer son Amour ? Je ne suis toujours pas convaincu et m'en remet à la première hypothèse. Je suppose que cela ne changera jamais. Après tout, même ayant subi cet accident qui me conduit à la réclusion dans laquelle je suis en ce moment maintenu qui aurait pu m'être fatal, je persiste à refuser d'y voir un signe de Dieu.

    Hum... Je me demande ce que ma copine en pensera lorsqu'elle lira ces lignes. Ah ! J'ai hâte qu'elle le fasse !

    En tous les cas, je me trouvais bien confortablement réfugié dans cette église qui m'abritait du vent froid et de la pluie glaciale. J'ai utilisé les cierges pour me réchauffer avant de me changer et de mettre sécher mes vêtements sur un banc. Je me suis endormi, pelotonné dans ma couverture, après avoir mangé un bon morceau revigorant. La journée avait été si longue et éreintante !

    Interrompons donc ce récit ici ! La prochaine, je vous conterai mes mésaventures au sein de la ville de celle qu'on nommait la Pucelle ! 

    ~~ Ambulando meus magna erit, superbia magis.~~

     


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